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15 juin 2021Bien-être au travail

« La question des femmes ménopausées va exploser d’ici cinq ans »

CTA étude Ménopause

Elles se sentent invisibles, sur la touche professionnellement, Les femmes ménopausées de plus de 50 ans ont parfois même intégré qu’elles n’auraient plus d’opportunités ni à saisir, ni à créer. Et si c’était en train de changer ? Entretien avec Mélissa Petit, docteur en sociologie, spécialiste de la silver economy et fondatrice de Mixing Générations.

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Les pays anglo-saxons semblent en avance par rapport à la France sur la reconnaissance de la ménopause au travail, qu’en pensez-vous ?

C’est vrai et l’Angleterre particulièrement, elle est très avant-gardiste. Environ 5% des entreprises y ont mis en place des mesures pour permettre un bien-être et une certaine qualité de vie aux femmes ménopausées. En particulier la chaîne Channel 4 par exemple. On peut trouver des guides, des bonnes pratiques à avoir, de l’importance de l’information et de l’éducation sur ce sujet-là. Il y a vraiment une promotion de la culture et de l’information autour de cette question.

Comment l’expliquez-vous ?

Ces pays ont une autre culture du travail des plus de 50 ans. Plus ouverte. Elle reconnaît leur capacité à créer de nouvelles entreprises, à être indépendantes, à se renouveler dans le milieu professionnel. Ensuite, la culture, le cinéma, les médias mettent davantage en avant les femmes plus âgées. Prenez le Vogue UK : depuis qu’Edward Enniful a pris la rédaction en chef, on note un regard différent sur le corps féminin. Les couvertures du magazine mettent en avant de nouveaux sujets, dont celui des femmes de 50 ans et plus. Il y a une sorte d’activisme. Cela ouvre à la connaissance et donc aussi à l’environnement de travail. Enfin, c’est aussi le résultat de politiques volontaristes. On le voit avec la toute récente décision du gouvernement anglais de nommer des femmes ambassadrices dans les pays les plus puissants. Cela prouve un autre et un nouveau regard sur le féminin. Quand vous avez des politiciens volontaires sur un sujet, celui-ci monte au front.

De quoi se plaignent le plus les femmes qui atteignent cet âge charnière ?

De l’invisibilité. De ce décalage entre la société qui les met de côté et l’épanouissement que l’on peut vivre à cet âge-là. Une forte majorité travaille à temps partiel, subit des licenciements, le taux d’emploi des seniors est assez bas. On est en France dans un esprit à la fois âgiste et jeuniste. Alors que ces femmes ont l’expérience, les compétences, un regard sur le monde plus fin, qui pourrait être valorisé. Et puis, il y a les maux du corps et la manière dont elles sont accompagnées, la façon dont elles sont perçues par le monde médical, quelles réponses il peut leur apporter. Entre ce qu’elles doivent faire et ne pas faire, de quelle marge de manœuvre disposent-elles ?

Certaines prennent le taureau par les cornes, se réinventent. Mais cela dépend aussi de leur catégorie socioprofessionnelle, de leur environnement familial. Ce sera peut-être moins facile pour celle qui a été agent de caisse ou au réassort pendant 30 ans que pour celle qui a été cadre. Qu’est ce que l’entreprise va lui proposer, comment va-t-elle l’accompagner ? La force est aussi d’ordre financier, familial. Dans le film Aurore, Agnès Jaoui incarne une femme ménopausée qui va changer de profession, d’amour, mais cela demande un entourage qui soutienne, qui ne se soit pas dévalorisant.

Pourquoi le sujet est-il si peu abordé ?

On parle assez peu des moments de vulnérabilité du corps féminin en général. La ménopause est l’une de ces périodes les plus exacerbées. Le corps se transforme, les rides, les cheveux blancs… même si le body positivisme pointe son nez, le poids des représentations sociales pèse, on ne met pas ces corps en avant. La femme ménopausée n’enfante plus, or le corps de la femme est magnifié sur les premières règles et la grossesse. Le fait de ne plus pouvoir être mère est tabou. Quand la femme devient grand-mère, on oublie qu’elle peut être aussi fan de tennis, amoureuse du cinéma japonais, de la céramique ou qu’elle travaille. Elle est renvoyée dans la sphère domestique et familiale. Comme si le féminin après 50 ans n’était pas un sujet. A tel point qu’on ne veut pas voir ni entendre que les femmes de 85 ans avec des petites retraites sont les plus isolées et celles qui vont avoir le moins recours aux soins.

Mais le tabou ne vient pas que de l’extérieur, il vient aussi de soi-même. Parfois, pour éviter les dénigrements dans la sphère professionnelle et même familiale, les femmes essaient de camoufler leur état, font en sorte que cela ne se voit pas. Une étude sur la ménopause et les femmes a montré que moins de la moitié des Françaises seulement aimerait qu’on en parle, pas parce qu’elles n’ont pas envie qu’on les écoute, mais parce qu’elles ont peur d’être mises sur le côté, d’un regard stigmatisant. D’où l’importance de l’éducation pour qu’elles soient elles-mêmes à l’aise avec le sujet, qu’elles puissent échanger librement si elles veulent et disposer de solutions. Mais tout cela, y compris les 42% d’écart de pensions entre hommes et femmes, se travaille en amont. Dans l’orientation scolaire, en cassant les stéréotypes d’orientation et de métiers, ou à 40-50 ans quand s’annonce la ménopause et la difficulté des femmes séniors à trouver un emploi à temps plein. Il faut cesser de considérer que ce sont « des histoires de bonnes femmes ».

Quelles actions remarquables avez-vous noté des entreprises inclusives ?

Je reviens sur l’exemple de Channel 4 qui a décidé d’informer et d’éduquer ses managers. Il ne s’agit pas d’une simple formation d’une heure, mais de vrais outils mis à disposition des responsables et des parties prenantes pour leur apprendre à briser le silence, à identifier des ajustements raisonnables en fonction de chacune. En Angleterre, en libérant la parole, on a pu faire émerger des cas pratiques, et réfléchir à des solutions. Cela nécessite une adaptation perpétuelle, une culture d’entreprise agile. Evidemment, tout cela dépend du secteur d’activité, mais je trouve intéressant d’adapter le travail aux besoins. De concevoir des espaces, une certaine flexibilité des horaires, le télétravail à certains moments de nos vies. Il s’agit de faire confiance aux individus, à celles qui ont peut-être besoin de dormir davantage le matin car elles ont eu une nuit terrible…

Mais est-ce intéressant pour l’entreprise ?

Oui ! Améliorer la qualité de vie au travail, offrir un environnement de confiance dans lequel on peut exprimer ses doutes, ses craintes, ses problématiques de santé, savoir que l’on peut être accompagnée, que l’entreprise permettra de trouver des mesures spécifiques, des aérations, des systèmes ergonomiques, cela permet une plus grande productivité. C’est un gain pour l’entreprise. Il s’agit de prendre en compte l’individu, il s’agit parfois seulement d’adapter un cadre générique. Et puis, aucune des mesures prises depuis les années 70 qui préféraient se séparer des plus âgées pour embaucher des jeunes, n’ont fonctionné. Le chômage des seniors a augmenté, celui des jeunes aussi et l’entreprise n’y gagnait rien. On ne peut pas opposer l’expérience d’un sénior à celle d’un jeune qui sort de l’école. Ce sont des choses incomparables. L’échange entre générations permet une créativité très positive, une émulation et ces rencontres ne peuvent qu’être favorables à tous.

Cette culture du silence autour de la ménopause serait elle en train de changer ?

Cela peut changer si le système change. Par les actions d’entreprise bien sûr, mais aussi par une plus grande visibilité dans les médias. Des revues comme J’ai piscine avec Simone, prennent ce sujet à bras le corps, les hashtags et les comptes Instagram sur la ménopause se multiplient sur les réseaux sociaux. Le sujet est en ébullition et la question des femmes de plus de 50 ans et de la ménopause va exploser d’ici à cinq ans. En effet, nous entrons dans une ère du féminin qui se réapproprie son corps. Culottes menstruelles, applis sur le cycle féminin… cette effervescence revendicatrice va finir par aborder le corps de la femme âgée.

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